Fr. Pierre est moine à l’abbaye de Tamié (Savoie, France). Il y est entré il y a 47 ans.
BN : Frère Pierre, comment décide-t-on d’entrer au monastère ? Comment cela s’est passé pour vous ?
P. : Lorsqu’il a été question de ma vocation, j’hésitais. J’avais été séduit par la figure de Charles de Foucauld, originaire de Strasbourg comme moi. C’était un homme de prière, un homme en recherche de Dieu, animé par un grand désir de vie pauvre. La vie monastique m’attirait aussi. Je n’en avais aucune expérience concrète et ce que je recherchais, c’est une vie simple associant prière et travail. Puis je suis parti en coopération à Madagascar, et là, j’ai appris l’existence d’un petit monastère cistercien, celui de Maromby proche de la ville de Fianarantsoa. Comme je lui parlais de mon désir de vie simple, le Prieur de ce monastère m’a conseillé l’abbaye de Tamié en Savoie. A mon retour en France, je me suis proposé de faire un essai de 6 mois dans cette communauté, et comme j’étais aussi attiré par les petits frères de Jésus qui s’inspiraient de Charles de Foucauld, j’ai décidé de tenter la même expérience dans une Fraternité. C’est ainsi que j’ai commencé par Tamié en novembre 1972. Les moines ont accepté ma proposition d’un essai de ce genre, même si c’était nouveau pour eux. Cette vie me plaisait. Une fois finie l’expérience de Tamié, j’ai commencé une formation technique car je pensais à un éventuel retour à Madagascar. Puis, j’ai demandé aux petits frères de Jésus de m’accepter pour une même période de 6 mois. Eux voulaient me faire entrer directement au noviciat. Comme j’insistais pour une expérience limitée dans le temps, ils ont finalement accepté et je me suis retrouvé à Marseille dans une fraternité composée de deux petits frères de Jésus. L’expérience fut également positive. Mais il me semblait manquer de quelque chose que j’avais expérimenté à Tamié : c’était la lecture spirituelle (lectio divina) proposée chaque jour alors que dans la communauté des petits frères, j’avais eu du mal en 6 mois à terminer le livre fondateur « Au cœur des masses » du P. Voillaume. Il me manquait aussi cet équilibre merveilleux entre la prière et le travail que j’avais découvert à Tamié. C’est ainsi que j’ai fait le choix d’entrer comme moine à Tamié en septembre 1975.
Mais derrière tout cela, il y a eu un signe de Dieu, un appel ?
Je me sentais attiré. Je suis d’une famille de 8 enfants dont un est décédé en bas âge. J’aimais les grands offices dans la cathédrale de Strasbourg. Au niveau études, ce n’était pas fameux, sauf quand j’ai commencé une formation technique. Comme je faisais part de mes désirs à mon père spirituel, celui me répondit : « un jour tu verras, ce sera clair ». Je multipliais les expériences, mais à chaque fois je sentais que ce n’était pas cela, jusqu’à cette expérience à Maromby où j’ai rencontré des hommes heureux. C’était ce qu’il me fallait.
Et la vie communautaire ?
Nous, nous n’avons pas choisi les frères avec qui nous vivons en communauté. C’est une chance : nous devons nous adapter. Nous devons aimer chaque jour !
Après votre engagement, vous avez fait un séjour en Afrique, au Congo ?
Lors de mon Noviciat à Tamié, j’avais toujours le désir de retourner à Madagascar, mais à cette époque, les frères de Tamié étaient plutôt envoyés en Algérie, et notamment à Tibhirine. Je pensais faire mon engagement de vie monastique pour Maromby et j’en ai fait part au Prieur de Maromby qui m’a répondu que les frères qui suivaient leur propre volonté ne restaient pas au monastère. J’ai donc fait profession pour Tamié. Ce n’est que plus tard qu’on m’a proposé de rejoindre le Monastère de Mokoto, près de Goma en RDC (Congo). C’était pour soutenir cette communauté fondée par l’abbaye de Scourmont (Chimay). Je suis parti en 1987 et je suis revenu en 1996. J’y ai connu les affres du génocide. Une période terrible. Moi-même j’ai échappé par trois fois de justesse à la mort. Nous avions notamment hébergé 900 réfugiés autour du monastère, et je revenais d’avoir été chercher des provisions et de l’argent pour subvenir aux besoins de tous ces gens. Sur le chemin du retour – nous étions le dimanche des Rameaux 1996 – je fus arrêté. Mes agresseurs me demandaient des armes – je n’en ai jamais eu – et de l’argent. J’ai d’abord secoué mon cartable qui était vide. Mais sur leur insistance, j’ai bien dû leur remettre la caisse qui contenait l’argent. A ce moment-là, j’ai entendu une voix intérieure me disant de fuir, ce que j’ai fait. Ils tiraient mais j’ai pu leur échapper. Avec moi, il y avait une mère et son enfant handicapé. Je les ai retrouvés plus tard au village sains et saufs. Pour elles, j’étais leur sauveur. Car en fuyant, les agresseurs s’étaient mis à me poursuivre, ce qui leur avait permis de fuir à leur tour.
Aujourd’hui, vous êtes à nouveau dans votre monastère de Tamié.
Oui, et j’y suis très heureux. J’aime la liturgie qui y est célébrée depuis les Vigiles (l’office de 4h du matin) jusqu’aux Complies célébrées la nuit tombante. Quelle richesse, surtout en ce temps pascal où la louange se déploie dans toute sa beauté. Chaque jour, je rends grâce à Dieu pour la vie qu’il me donne.
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